Remember Stan Getz
Feat. Célia Kaméni, Airelle Besson, Julien Lourau, Nelson Veras, Pascal Schumacher, Florent Nisse & Guilhem Flouzat + String quartet
Musicians :
Sylvain Rifflet : Tenor saxophone, direction, arrangements and additional compositions
Célia Kaméni : Voice
Airelle Besson : Trumpet
Julien Lourau : Tenor Saxophone
Pascal Schumacher : Vibraphone and Marimba
Nelson Veras : Guitar
Florent Nisse : Double bass
Jeff Ballard : Drums
String quartet : Rémi Rière, Akémi Fillon, Ariana Smith and Simon Dechambre
Recorded live at the Paris Philharmonie on June 22nd 2021 by Céline Grangey. (unedited and draft mix)
All pictures © Rémi Rière
Note de programme
Le 6 juin 1991 s’éteignait définitivement «The Sound». Quand la plupart des grands créateurs africains-américains du jazz se targuaient de surnoms qui, de «Duke» en «Count» et autres «King», leur restituaient une dignité que le racisme de la société leur déniait en grande partie, Stan Getz, fruit d’une tout autre histoire (né Stanley Gayetsky à Philadelphie en 1927, fils d’immigrés juifs originaires d’Ukraine ayant fui les pogroms) a porté, pendant près d’un demi-siècle, celui d’une qualité qui est au fondement de la musique qu’il avait endossée: le son.
Stan Getz était The Sound. Autrement dit, un idéal, une quintessence. Quelque chose comme la matérialisation d’une idée pure, la manifestation d’une perfection. Si Stan Getz figure au panthéon du jazz, c’est avant tout, en effet, pour la sonorité unique qu’il tirait de son ténor et qui permet, en trois notes, de le distinguer de la masse de ses pairs saxo- phonistes. Cette capacité que possèdent les plus grands jazzmen depuis Louis Armstrong à forger un timbre qui leur appartienne en propre au point de constituer une signature est au cœur de la tradition du jazz. La sonorité de ténor de Stan Getz s’ourlait d’une douceur – même dans les tempos rapides et dans ses moments d’alacrité – caractérisée par un vibrato dont le moelleux confinait à la tendresse, conférant à son jeu un caractère mélancolique et délicat qui le démarquait considérablement de ses contemporains et touchait au cœur ses auditeurs.
Stan Getz aimait à dire que le saxophone était l’expression de l’âme humaine et se plaisait à comparer son ténor au violoncelle. Il affirmait aussi que ce qu’il jouait, c’était lui. «C’est moi qui sors de mon saxophone», disait-il, résumant d’un trait simple et sans équivoque le lien qui unit le soliste à son jeu, cette étrange métamorphose par laquelle le souffle d’une inspiration devient parole, et la musique la traduction d’une sensibilité qui trouve difficilement à s’exprimer ailleurs. Et le pire, c’est qu’il n’avait pas tort. Stan Getz est Stan Getz, ou plutôt l’homme à la vie tumultueuse a disparu dans cette sonorité, ce lyrisme, ces accents, qui ne ressemblent à aucun autre. Cette sonorité sublime n’aurait rien été, cependant, si elle n’avait été au service d’une capacité d’invention mélodique superlative.
«Stan Getz était un chanteur», souligne Sylvain Rifflet, qui porte ce concert hommage à la Philharmonie de Paris. « À chaque fois qu’il joue, il invente des mélodies. Il ne joue pas deux fois la même phrase, il n’y a aucune forme de systématisme dans ses improvisations. Il ne cherche pas la complexité ou la difficulté d’un langage, il cherche la beauté, ce qui est pour moi la chose la plus difficile à atteindre.»
Passionné par Stan Getz depuis ses débuts, Sylvain Rifflet voue un culte à son aîné saxo- phoniste dont il a exploré la discographie de fond en comble comme un jardin secret. Fait relativement rare dans le paysage contemporain, il compte au rang de ses influences ce styliste de génie. Car Stan Getz n’a pas été un révolutionnaire, ni un défricheur, mais une manière de grand écrivain qui maîtrisait à la perfection l’art de la phrase, du récit, de la tension narrative. À la différence notable des Sonny Rollins, John Coltrane, Wayne Shorter et autres Joe Henderson, il ne racontait pas ses propres histoires mais empruntait celles des autres pour exprimer toute la gamme des émotions, des plus passionnées aux plus élégiaques. Getz n’était pas compositeur. Ce n’est pas pour rien qu’après avoir usé les mètres des chansons de Broadway, il fut l’un des premiers à introduire dans le jazz les grands airs de la musique brésilienne, en particulier la bossa-nova, qui lui ouvrit de nouveaux horizons lyriques et rythmiques.
Même si son parcours artistique jusqu’à récemment l’avait peu laissé entrevoir, du groupe Rockingchair à ses hommages à Moondog, Sylvain Rifflet connaît littéralement toute cette histoire par cœur. La manière dont, en 2017, il s’est attelé à revisiter le légendaire album Focus, une suite orchestrale au carrefour du jazz et du classique composée par Eddie Sauter à la demande de Stan Getz, a cependant levé un coin de voile sur sa passion.
Autour de lui Julien Lourau, et l’ensemble des musiciens qu’il a choisis pour revisiter à sa manière quelques-uns des jalons de la riche carrière de Stan Getz. Parmi eux, un guitariste brésilien, Nelson Veras, qui a toujours su échapper aux clichés tropicalistes que l’on aurait voulu calquer sur sa personnalité, qui connaît les accords de la bossa-nova de l’intérieur ; le vibraphoniste luxembourgeois Pascal Schumacher, dont la présence rappelle que Stan Getz dirigea un temps un quartet avec un tout jeune Gary Burton dont un disque notamment, enregistré à Paris en 1967, conserve la mémoire; la trompettiste Airelle Besson, avec qui Sylvain Rifflet porta pendant plusieurs années le groupe Rockingchair, qui prendra la place des Chet Baker, Bob Brookmeyer et autres cuivres avec qui Getz croisa parfois ses lignes mélodiques ; la chanteuse Célia Kameni, prétexte à se souvenir quel maître du contrechant Getz était; le batteur américain Jeff Ballard, qui a grandi dans l’amour du swing et sait jouer les rythmes brésiliens avec la subtilité requise; et le quatuor Appassionato, enfin, dont la participation souligne combien, plus d’une fois au fil de sa carrière, sous la plume d’Eddie Sauter ou Michel Legrand, Stan Getz aima lover son souffle dans un écrin de cordes. Des grands classiques des années Verve (« Jazz à la Philharmonie » oblige !) aux ultimes enregistrements avec Abbey Lincoln en passant par l’éphémère collaboration avec Eddy Louiss, René Thomas et Bernard Lubat, et une bonne dose de bossa, Sylvain Rifflet a choisi de puiser la matière de cet hommage dans différentes «périodes» de la carrière de Stan Getz, faisant fi de la chronologie pour favoriser l’émotion, et rendre un juste hommage à celui qui aimait à croire que, de sa vie, il n’avait jamais joué une seule note qu’il n’ait eu une juste raison de faire entendre.
Vincent Bessières